Daniel Desorgher vient d'avoir cinquante ans. Le moment nous a donc semblé bien choisi pour dresser un premier bilan.

D'abord, quelques chiffres. Daniel mesure 1 mètre 65, pèse 51 kilos. Sa myopie atteint 4,5; sa calvitie avance au rythme de 2 millimètres par an.

Tout cela ne l'a pas empêché de réaliser 11 albums de bande dessinée, 2.247 soirées de sono, 14.896 cases avec des schtroumpfs, et un beau mariage. Ce qui tend à prouver qu'il ne faut jamais désespérer.

Certains ont avancé la théorie que Daniel était un garçon timide et discret.

Pourtant, quand on interroge les gens qui l'ont connu, on s'aperçoit à quel point il a pu marquer les imaginations.

À Kisantu, dans l'hôpital où il est né, quelques vieilles infirmières se sont immédiatement souvenues du bébé qu'on surnommait déjà « l'okapi », hommage à cet animal rare et majestueux de la forêt équatoriale, dont les oreilles sont également délicatement déployées.

À Kinshasa, de nombreux marchands évoquent encore le nom de Daniel avec émotion, et racontent parfois à leurs enfants, à la tombée de la nuit, comment ils étaient parvenus à lui vendre toutes leurs cargaisons d'oeuvres d'art authentiques. Un adolescent qui avait réalisé pour lui une fusée en fil de fer en 1991, fait vivre aujourd'hui encore sa famille entière sur le prix de cette vente. Tous ceux que nous avons rencontré là-bas nous ont posé la même question: quand reviendra donc le petit mundélé à lunettes? Car, il n'y a pas à en douter, Daniel incarnait pour eux l'image idéale du blanc en Afrique: généreux, généreux et généreux.

Là-bas, un homme attend même chaque jour le retour de Daniel, car il a fait le voeu d¹être toujours son chauffeur. Pour peu que Daniel amène également la voiture, qu'il lui envoie de temps à autre un moule à gaufres ou un surgélateur, Dieudonné lui a juré à jamais fidélité.

Ne raconte-t-on pas qu'un jour, alors qu'on lui parlait de Daniel, le maréchal, Mobutu lui-même avait versé une larme, en soufflant: Comprenez mon émotion!

Aux Editions Dupuis, notre directeur éditorial Philippe Van Dooren, qui n'aime rien tant que de torturer ses auteurs, avouait encore dernièrement que la gentillesse et l'humilité de Daniel lui gâchaient son plaisir.

Peyo, le grand Peyo, s'appuya des années durant sur son talent. Sans doute incarnait-il pour lui l'image idéale du bon nègre: généreux, généreux et généreux.

Pour son scénariste, Daniel se montra encore parfaitement attentionné.

Jamais de dépression, jamais de crise existentialiste. Autant le dire, un dessinateur tout-à-fait atypique.

Pour sa famille, enfin, Daniel a toujours été un modèle. Ses chats ne jurent que par lui. Ses compact Disc sont ravis d'appartenir à sa collection. Sa moto ne se lasse pas de le conduire aux quatre coins de la Belgique. Et Annick et Martin, s'ils espèrent sans doute ne pas devoir en reprendre pour cinquante ans, comptent bien que notre okapi tienne encore vaillamment le coup un bon moment.

 Ce speach a été écrit par Stéphen Desberg et lu par François Walthéry en septembre 1998.